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lundi 25 février 2013

Joyce Carol Oates/Laurence Demaison

 ©Laurence Demaison

                                                           LES FEMELLES
Se faire pendre/prendre par les tripes des Femelles de Joyce Carol Oates. Une écriture coup de poing, vive, rythmée, musclée et pourtant féminine stricto sensu. Les anti-héroïnes, entre 6 et 35 ans, des neuf nouvelles de Joyce Carole Oates flinguent les mâles encombrants, empoisonnent les corps malades, tranchent les chairs sales, jettent le bébé sans l’eau du bain etc. La loi du talion, la loi du talon plutôt s’impose comme l’unique voie non pas de sortie mais de raison : se débarrasser de l’objet de ses frustrations, de sa douleur, de sa mise en danger pour ne pas mourir. Sauver sa peau dans une froide mécanique, geste accompli avec le calme d’un café matinal et parfois en crever quand les anges n’accordent pas leur miséricorde.



 ©Laurence Demaison


                                       Avec l’aide de Dieu  
 « C’est cette nuit-là que j’ai pensé pour la 1er fois : c’est dans un garrot que je suis ». Etrangler, ranimer, étrangler, ranimer. Pitman m’avait taquinée comme cela dans Hunter Riad. Me faisant peur, puis semblant se radoucir. Me faisant peur de nouveau. Vraiment peur. Puis se radoucissant. « Il vaut mieux que ça reste une secret entre nous Lucretia »












                                            
                             
                                                              
 ©Laurence Demaison
  Banshee
Elle avait voulu un frère mais à la place, elle avait un petit frère. Oh bébé la faisait rire. Sauf que parfois ses pensées s’embrouillaient et lui donnaient mal à la tête. Elle était Bébé, et Bébé était elle ? C’était comme cela que c’était prévu ? Ou est-ce que bébé était venu prendre sa place ? Elle avait essayé de demander à Papa. Si Bébé était elle et qu’il avait pris sa place, où était-elle, elle ?


 ©Laurence Demaison
Poupée, une ballade du Mississippi         
Poupée commence à être de sale humeur. Il n’y avait quasiment que du fromage dans son hamburger. Elle se dit qu’elle ne se  limitera peut-être pas à la carotide, c’est trop facile. (…) Le jour où elle avait fait à M.Early la surprise d’un bout de chair de la taille d’une pièce de monnaie contenant le nombril d’un gros plouc de routier, cette vieille fripouille avait été vraiment épatée. Poupée : çà dépasse mon ADN, vraiment. 




 ©Laurence Demaison
Madison au guignol 
On murmurait derrière son dos en riant cruellement, qu’elle n’avait pas d’âme. Mais c’est elle que je cherche constamment où et comme je peux.(…) Elle trébuchait sur ses hauts talons haut, et il fallait la rattraper sous les bras, une odeur de décomposition sous ses aisselles quelle que fût la quantité de parfum dont elle s’aspergeait ; elle s’effondrait à la table de la cuisine avec des halètements de chien et se frottait les yeux de ses paumes comme dans l’espoir d’effacer les visions qu’elle avait pu avoir : Où est-elle ? L’ai-je perdue ? Comment est-ce possible ? Rendez-la moi !

 ©Laurence Demaison
 Obsession

Les cages ne sont plus là, maintenant. Et j’entends les cris des lapins dans le vent, dans la pluie battante, dans le sifflet du train qui glisse dans mon sommeil. A des kilomètres de la maison, je les entends ; toute ma vie je les entendrai. Les cris de créatures prises au piège qui ont souffert, qui sont mortes, qui nous attendent en enfer, nos parents.






Faim
 ©Laurence Demaison
Ce moment. Cette intuition. Fulgurante comme une douleur. Où Kristine pensera : j’ai fait la pire erreur de ma vie. Où elle se fera l’effet d’un scarabée aux pattes nombreuses dont le centre nerveux a été sectionné… la paralysie est multipliée avec toutes ces pattes.




Dis-moi que tu me pardonnes       
 ©Laurence Demaison
Son père Willie Kenelly avait tué des gens à Okinawa, fusil et baïonnette, il ne s’en était pas vanté, il avait dit que c’était un sale boulot, un boulot pénible : tuer était un boulot pénible, pas de quoi en être fier, mais pas de quoi en avoir honte non plus. C’était son travail, on lui avait donné des médailles pour ça, mais lui considérait qu’il avait simplement fait son travail. Tu le fais bien ou pas du tout petite. Tu ne foires pas.   
Elle savait. Elle avait su quand elle avait pris la décision de venir.      















 ©Laurence Demaison
Ange de colère
 Mais je ne suis pas en colère, j’aimerais l’expliquer. Gilead n’est pas en colère jamais. Mais je suis en colère pour les autres. Pour les innocents et les humiliés. Je suis l’ange de la colère qui protège celle que j’aime. (..) L’ange de colère. Mais agissant vite, sans errements et sans émotion, comme on manierait une pelle ou une hache pour accomplir une tâche nécessaire. Elevant le démonte-pneu dans ses mains gantées pour l’abattre sur la tête et les épaules de l’homme, ses mains et ses bras faibles incapables d’arrêter de tels coups. »

 ©Laurence Demaison
Ange de miséricorde   
Vous imagineriez que c’est la première fois qui doit être la plus difficile n’est-ce pas ? Mais cela ne fut pas le cas. Lorsque cela se produisit (elle s’en rendrait compte après coup avec la stupéfaction de qui a jeté un regard par-dessus le rebord du monde comme le chien terrifié de Goya), ce fut comme d’écraser un moustique… 
Un réflexe. La pitié, le fléau de l’humanité.


Les femelles, Joyce Carol Oates, Editions Philippe Rey. 2007
http://www.laurencedemaison.com


5 commentaires:

  1. J'aime bien la mise en carnet : bravo les petits padawans :)

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  2. Moi aussi, j'aime bien la mise en carnet ;) Merci encore !

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  3. Si vous passez dans le coin, pourriez-vous me dire si le texte & photo ne débordent pas du carnet SVP. Merci !

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  4. Vraiment chouette, et Laurence Demaison!!!! (c'est nickel))

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