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dimanche 25 mai 2014

Jon Roberts & Evan Wright/Robert Frank




"Desperado était encore jeune quand on l'a acheté. Il ne savait pas encore bien courir, mais il volait déjà et avait de bons réflexes. Il n'aimait pas les autres chevaux. Ce n'est pas bon d'avoir un cheval trop sociable : il reste dans le groupe. Il faut un cheval qui galope devant tous les autres. Desperado était un tueur" 






AMERICAN DESPERADO





















Dissection à vif du mal à l'état brut, de la brute à l'état de mâle.

Exits les Tony Montana, Don Vito Corleone, Donnie Brasco, Paul Vitti etc. Oubliez ce que vous avez lu, vu, entendu sur la Mafia ! American Desperado la biographie, à ne pas piquer les hannetons de Quentin Tarantino et Martin Scorsese, de Jon Roberts, le plus célèbre des Cocaïnes-Cow-boys, né Riccobono, au sein d’une famille de mafieux siciliens, dynamite les œuvres antérieures sur le sujet par sa radicalité enragée, son regard impitoyable et son style narratif abrasif. Chef-d'œuvre éditorial ultime de 13e note éditions, les 700 pages, rédigées par le journaliste gonzo et romancier Evan Wright, riches en anecdotes in situ_ petit manuel allumé et souvent drôle du criminel en devenir_ défilent à la vitesse d’une salve de mitraillettes. Uppercut dans le cerveau.



Storytelling bigger than life.

American Desperado, roman noir pur jus de cadavres, récit qui snife de la tragédie sauvage sous psychotropes à la paille, recrache de l'humour décalé à la pelleteuse, s'appuie    sur une tranche de vie extrême, démesurée et excessive, épopée séditieuse du crime et de l’argent sale. Le monde s’étale aux pieds de Jon Roberts qui ne le conquiert pas avec le dos de la cuillère mais avec le plat du couteau. Il le piétine sans remords, du côté du mal depuis ses neufs ans lorsqu'il a vu son père tuer un homme sous ses yeux. A New-York, terreur en culotte-courte, braqueur et racketteur adolescent, puis trafiquant de coke et gérant de boîte de nuit ; à Miami, correspondant numéro un du cartel Medellin à la solde de Pablo Escobar, blanchisseur d’argent sale, espion secret pour la CIA… La vie supra-ordinaire du Cocaïne cow-boy incarne la substantifique moelle de la criminalité avec une jubilation assumée.



Attraction, répulsion. 
Nonobstant, pas d’identification, de justification, d’expiation possibles, John Roberts reste un salaud froid et exsangue capable de dépecer un homme dans l’enfer rouge du Vietnam mais pas que. Il use d’une bonne dose d’humour, d’un charme certain, aime l’art, le raffinement, la jouissance, son fils et surtout se montre parfois pas moins stupide, excessif ou violent qu’une Amérique border-line, blindée de politiques véreux, d’artistes camés et de sportifs toquards. Du Général Noriega, à Richard Dreyfuss, Jimmy Hendrix, ou encore O.J Sympson, à la faveur d’un série de portraits hauts en couleur, une faune connue défile ainsi sous nos yeux, baise dans des boîtes jet set, s’envoie des pipelines de coke dans les narines, pactise avec le diable au plus haut sommet de l’état et utilise la crème des malfrats pour conserver ses mains propres. Rien de nouveau au pays de l’oncle Sam sauf qu’à travers le prisme du maestro du crime Jon Robert, cette page de l’Histoire des années 70/80 prend davantage de relief et envoie du steak cramoisi à la tête de la bien-pensance et de l’Establishment. American psycho, American parano, American desperado…Ultra sanglante solitude. Une tuerie !








"Faire souffrir, faire peur, ça donne la maîtrise des situations et le pouvoir sur les gens. Si on a un problème, il faut le résoudre par le moyen le plus impitoyable, avec le maximum de fermeté. Voilà comment on emporte le morceau. La voie du mal est celle de la force parce que le mal est plus fort."




American Desperado






13e note éditions

Photographies de Robert Frank

mercredi 13 mars 2013

James Fogle/ Dash Snow


"-Est-ce que c'est le chapeau qui t'a tiré dessus hein Bob ?
- Non, c'est l'enfant de la télé.
- L'enfant de la télé a tiré, mais c'est le chapeau qui l'envoyait, c'est ça ? 
Il hocha la tête. Sa bouche se remplit de sang. Il ne pouvait plus parler, il s'efforça de tousser. Les lumières brillaient fort à présent, jamais il n'en avait vue de si éblouissantes... 




DRUGSTORE COWBOY






A Portland, et à proximité des drugstores sur la côte nord des Etats-Unis, Bob et Diane conduisent leur petite bande sur les chemins du braquage organisé. Ils vident les étagères, les coffres et les tiroirs des officines de drogues susceptibles de couler dans leurs veines. Bêtes noires des pharmaciens, traqués par la police, ces cow-boys du shoot à répétition se foutent pas mal de la justice, de l’ordre, de la morale. Les injections, et les plans astucieux afin de se procurer de la dope, rythment leurs journées. 
Exits les Junkies en manque qui frappent à leur porte pour un sachet de poudre ; Bob et Diane se piquent mais ne vendent pas. Dans leur sillage : Nick, ex-taulard, fidèle compagnon et Nadine, camée occasionnelle, naïve et imprévisible. Rien n’effraie Bob et ses amis, exceptés les jours de poisse, ces jours où les chiens et les chapeaux signent la fin des attaques dans les drugstores. Les couvre-chefs deviennent alors couvre feu. Et en cas de non respect des règles, pas de sortie de secours. Rémission impossible chez les junkies. Place alors aux enfants de la télé qui accomplissent leur dessein funèbre dans le cerveau explosé de Bob.




Encore un excellent roman, sorti du catalogue à chefs-d’œuvre noir de 13e note édition. James Fogle, auteur et braqueur jamais patenté (50 années passées en prison et un dernier cambriolage à 71 ans !) écrira dix romans entre les quatre murs d’un établissement pénitentiaire où il achèvera sa vie mouvementée en 2012. Drugstore Cowboy raconte son histoire à la faveur de personnages déglingués et attachants, d'une construction rythmée, d'un solide sens de l’humour et d'un regard sans concession sur la drogue, la justice, la police, l’amitié, l’amour. 
«Lorsque je décris les policiers et les consommateurs de stupéfiants, il n’y a pas d’un côté les méchants et de l’autre les gentils. Il n’y a que des individus. Bien sûr j’éprouve une certaine empathie pour l’usager. Mais tout est décrit du point de vue des personnages ». Un point de vue de James Frogle que l’on aimerait retrouver si l’envie prenait à 13e note de publier un second roman inédit de l'auteur.



"Il avait connu une flopée de toxicos, en général jeunes, qui semblaient tenir à ce que le monde entier sache qu’ils se défonçaient. Ils incarnaient leur rôle à la perfection. Et après ils se demandaient pourquoi ils avaient toujours les flics sur le dos. (…) C’était comme si un cambrioleur se baladait en col roulé, baskets noires et gants noirs, avec une pince-monseigneur sur l’épaule. C’était super à la télé mais dans la vraie vie ; ça ne marchait pas."


"Mais Diane aimait Diane un peu trop pour renoncer à ce qui était pour elle le paradis sur terre : cambrioler les pharmacies. Le grand frisson au quotidien avec son homme, l’insouciance, la drogue : c’était tout ce qu’elle attendait de l’existence ça et rien d’autre (...)

Jamais elle ne renoncerait à cette vie, et pourquoi le devrait-elle d'ailleurs ? Pour n'être plus qu'une ménagère frustrée, comme il en existait des millions, condamnée à la routine, à l'ennui et aux corvées alors qu'elle était une reine, une experte en son domaine ? "  









"Bob se demandait souvent comment réagiraient les pontes qui décidaient de la législation s’ils se réveillaient un beau matin dans la peau d’un noir, avec une instruction et une formation quasi inexistante, et le fâcheux pressentiment que leur situation n’était pas prête de s’arranger. Ou s’ils se retrouvaient à la place d’un drogué mexicain à la maison centrale du Texas, condamné à cent ans de réclusion pour possession de stupéfiants-à cause de dix dollars de came,  tout cela parce que les texans pensaient que la drogue était un truc de mexicains et qu’ils n’aiment pas les mexicains. Bob se demandait comment tous ces cadors pouvaient ingurgiter des litres d’alcool et gober plusieurs cachets d’aspirine avant d’aller se coucher, puis déclarer en toute sincérité que les gens incapables de vivre sans une béquille comme les toxicos, devaient être enfermés à perpétuité."
"Beaucoup de gens ne se rendaient pas compte de la chance qu’ils avaient de vivre dans un relatif confort psychologique. Bien sûr il leur arrivaient d’attraper la grippe, d’avoir des coups de cafard quand tout allait de travers. Mais le malaise du pékin moyen n’avait rien à voir avec les problèmes que devait surmonter un toxicomane au quotidien."







Drugstore Cowboy adapté au cinéma par Gus Van Sant. Intégralité des scènes avec William S.Burroughs



Polaroïds de Dash Snow et là  





lundi 25 février 2013

Joyce Carol Oates/Laurence Demaison

 ©Laurence Demaison

                                                           LES FEMELLES
Se faire pendre/prendre par les tripes des Femelles de Joyce Carol Oates. Une écriture coup de poing, vive, rythmée, musclée et pourtant féminine stricto sensu. Les anti-héroïnes, entre 6 et 35 ans, des neuf nouvelles de Joyce Carole Oates flinguent les mâles encombrants, empoisonnent les corps malades, tranchent les chairs sales, jettent le bébé sans l’eau du bain etc. La loi du talion, la loi du talon plutôt s’impose comme l’unique voie non pas de sortie mais de raison : se débarrasser de l’objet de ses frustrations, de sa douleur, de sa mise en danger pour ne pas mourir. Sauver sa peau dans une froide mécanique, geste accompli avec le calme d’un café matinal et parfois en crever quand les anges n’accordent pas leur miséricorde.



 ©Laurence Demaison


                                       Avec l’aide de Dieu  
 « C’est cette nuit-là que j’ai pensé pour la 1er fois : c’est dans un garrot que je suis ». Etrangler, ranimer, étrangler, ranimer. Pitman m’avait taquinée comme cela dans Hunter Riad. Me faisant peur, puis semblant se radoucir. Me faisant peur de nouveau. Vraiment peur. Puis se radoucissant. « Il vaut mieux que ça reste une secret entre nous Lucretia »












                                            
                             
                                                              
 ©Laurence Demaison
  Banshee
Elle avait voulu un frère mais à la place, elle avait un petit frère. Oh bébé la faisait rire. Sauf que parfois ses pensées s’embrouillaient et lui donnaient mal à la tête. Elle était Bébé, et Bébé était elle ? C’était comme cela que c’était prévu ? Ou est-ce que bébé était venu prendre sa place ? Elle avait essayé de demander à Papa. Si Bébé était elle et qu’il avait pris sa place, où était-elle, elle ?


 ©Laurence Demaison
Poupée, une ballade du Mississippi         
Poupée commence à être de sale humeur. Il n’y avait quasiment que du fromage dans son hamburger. Elle se dit qu’elle ne se  limitera peut-être pas à la carotide, c’est trop facile. (…) Le jour où elle avait fait à M.Early la surprise d’un bout de chair de la taille d’une pièce de monnaie contenant le nombril d’un gros plouc de routier, cette vieille fripouille avait été vraiment épatée. Poupée : çà dépasse mon ADN, vraiment. 




 ©Laurence Demaison
Madison au guignol 
On murmurait derrière son dos en riant cruellement, qu’elle n’avait pas d’âme. Mais c’est elle que je cherche constamment où et comme je peux.(…) Elle trébuchait sur ses hauts talons haut, et il fallait la rattraper sous les bras, une odeur de décomposition sous ses aisselles quelle que fût la quantité de parfum dont elle s’aspergeait ; elle s’effondrait à la table de la cuisine avec des halètements de chien et se frottait les yeux de ses paumes comme dans l’espoir d’effacer les visions qu’elle avait pu avoir : Où est-elle ? L’ai-je perdue ? Comment est-ce possible ? Rendez-la moi !

 ©Laurence Demaison
 Obsession

Les cages ne sont plus là, maintenant. Et j’entends les cris des lapins dans le vent, dans la pluie battante, dans le sifflet du train qui glisse dans mon sommeil. A des kilomètres de la maison, je les entends ; toute ma vie je les entendrai. Les cris de créatures prises au piège qui ont souffert, qui sont mortes, qui nous attendent en enfer, nos parents.






Faim
 ©Laurence Demaison
Ce moment. Cette intuition. Fulgurante comme une douleur. Où Kristine pensera : j’ai fait la pire erreur de ma vie. Où elle se fera l’effet d’un scarabée aux pattes nombreuses dont le centre nerveux a été sectionné… la paralysie est multipliée avec toutes ces pattes.




Dis-moi que tu me pardonnes       
 ©Laurence Demaison
Son père Willie Kenelly avait tué des gens à Okinawa, fusil et baïonnette, il ne s’en était pas vanté, il avait dit que c’était un sale boulot, un boulot pénible : tuer était un boulot pénible, pas de quoi en être fier, mais pas de quoi en avoir honte non plus. C’était son travail, on lui avait donné des médailles pour ça, mais lui considérait qu’il avait simplement fait son travail. Tu le fais bien ou pas du tout petite. Tu ne foires pas.   
Elle savait. Elle avait su quand elle avait pris la décision de venir.      















 ©Laurence Demaison
Ange de colère
 Mais je ne suis pas en colère, j’aimerais l’expliquer. Gilead n’est pas en colère jamais. Mais je suis en colère pour les autres. Pour les innocents et les humiliés. Je suis l’ange de la colère qui protège celle que j’aime. (..) L’ange de colère. Mais agissant vite, sans errements et sans émotion, comme on manierait une pelle ou une hache pour accomplir une tâche nécessaire. Elevant le démonte-pneu dans ses mains gantées pour l’abattre sur la tête et les épaules de l’homme, ses mains et ses bras faibles incapables d’arrêter de tels coups. »

 ©Laurence Demaison
Ange de miséricorde   
Vous imagineriez que c’est la première fois qui doit être la plus difficile n’est-ce pas ? Mais cela ne fut pas le cas. Lorsque cela se produisit (elle s’en rendrait compte après coup avec la stupéfaction de qui a jeté un regard par-dessus le rebord du monde comme le chien terrifié de Goya), ce fut comme d’écraser un moustique… 
Un réflexe. La pitié, le fléau de l’humanité.


Les femelles, Joyce Carol Oates, Editions Philippe Rey. 2007
http://www.laurencedemaison.com